Yoga, un art de la lisière
Il y a quelques semaines, je suis tombée en amour des lisières dans une magnifique forêt des Ardennes belges. J’ai pris le temps de les regarder dans la nature et, depuis lors, je « vois » des lisières partout !
Selon la définition du dictionnaire, une lisière est le bord d’une étoffe ou une bordure territoriale souvent « pensée » comme une frontière entre deux mondes séparés, l’orée du bois, la limite d’une région, d’un champ.
En tricot, il y a les mailles lisière que l’on coud ensemble pour créer un pull.
Une lisière est une « zone de mise en contact » de deux « écosystèmes », de deux éléments qui sont ainsi en lien.
Les lisières peuvent être spatiales, temporelles, corporelles, humaines et sont autant d’espaces-temps à habiter pleinement.
Les lieux et espaces lisières
Il y a la lisière de la forêt, la lisière berge entre le ruisseau et la terre, toutes ses « frontières apparentes » qui sont davantage des mises en contact, en interdépendance, en solidarité, en coopération… On les retrouve aussi en permaculture : le jardinier prend soin de ces lisières où la biodiversité foisonne (voir par exemple https://reporterre.net/La-lisiere-entre-foret-et-jardin-est-un-riche-ecosysteme). On crée des mares, des bandes fleuries en lisières des potagers, des vergers…
Plutôt que des frontières, elles sont des lieux où des liens de vie se tissent et enrichissent le milieu.
Peut-être pensons-nous que ces bordures ne méritent pas que l’on s’y attarde. Ce ne seraient que des limites, des zones à franchir et non à explorer. Et si nous prenions le temps de regarder ces lisières, de nous y arrêter et d’en prendre soin ?
Plutôt que d’entrer et sortir « sans frapper » du bois, de la prairie…
Les temps lisières
Les lisières sont aussi temporelles: ces moments particuliers du réveil le matin, l’arrivée à l’école, au travail ou sur le lieu d’une activité, le bonjour et l’aurevoir, les aubes et les crépuscules, la fin d’un spectacle, d’une formation, l’arrivée sur votre tapis de yoga et la sortie, l’espace-temps entre deux activités intellectuelles, …
Nous négligeons trop souvent ces moments pour sauter dans l’activité ou l’action suivante. Et s’ils étaient autant d’occasions de revenir à soi, de faire retour pour les vivre pleinement ? Car quelque chose s’y passe bel et bien !
Revenir à soi, revenir en soi, pleinement conscient de la vie qui s’écoule, vibre, respire, s’exprimer, et être « parfaitement improductif » (Lydie Salvayre). Improductif de tout raisonnement mental, de toute production intellectuelle de toute action efficace, rentable.
Les lisières corporelles
Dans le corps aussi, les lisières sont infinies : je pense aux fascias, ces enveloppes des muscles qui les mettent en contact les uns avec les autres et créent un réseau infini et connecté comme un tout. Lisières musculaires, articulaires, cellulaires, viscérales…Dans la pratique du yoga, petit à petit, on prend conscience de ces lieux et espaces corporels et énergétiques.
Un art de la lisière
J’observe que Jade, ma jument, qui accorde une place particulière à ses lisières, ses orées. Elle s’arrête et se pose, en sortant de l’écurie. Juste regarder le paysage à chaque fois différent, le respirer, l’écouter, le toucher de tout son corps ; à l’entrée de la prairie, se saluer et se dire aurevoir ; se rouler après avoir galoper avant de replonger le nez dans l’herbe ; saluer les chevaux aux arrivées et départs ; après un duo cheval-humain en piste, s’arrêter dans le sable, laisser infuser et être dans la gratitude de ce qui s’est offert à vivre.
Il y a un tout un art de la lisière ! Autant d’espaces-temps à habiter pleinement, à chouchouter. Un prendre soin à apprendre et réapprendre.
Dans la pratique du yoga : cultiver l’art de la lisière
Il s’agit de consacrer notre attention à ce qui reste discret voire caché, à ce que nous croyons isolé et séparé pour le resituer dans son « paysage global ». Un art de l’attention, tout comme le yoga, une attention plus ouverte, englobante, rassembleuse, intégrative, « permaculturelle ».
La pratique du yoga développe cette capacité attentionnelle, de plus en plus fine. Soyons curieux des lisières dans notre pratique :
- A l’arrivée sur le tapis, prenons le temps de pause, rappelons notre attention au-dedans, sentons ce basculement, ce retournement à 180 degrés.
- Savourons les temps d’infusion entre deux postures, loin d’être des « temps perdus ».
- Explorons les lisières corporelles, sentons-les de manière de plus en plus subtile.
- Prenons conscience de la peau comme lisière entre le « dehors et le dedans ».
- Dans la relaxation, explorons la lisière entre l’état de veille et du sommeil.
- Prenons le temps de vivre l’interface entre la pratique et le retour dans le monde.
Bonnes explorations !
Catherine Blondiau
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